Si Macron avait fait un MBA

Trois mois après avoir démissionné du gouvernement en août 2014, Arnaud Montebourg suivait un programme MBA court à l’INSEAD. Au-delà de l’anecdote, la formation exigeante mais souvent littéraire, juridique ou administrative de nos gouvernants interpelle. Dans un monde de plus en plus compétitif, technologique et financiarisé, on peut se demander si nos dirigeants disposent des bonnes grilles de lecture et s’ils ne risquent pas d’allonger, au détriment de la France, leur temps d’apprentissage. Imaginons que le successeur d’Arnaud Montebourg au Ministère de l’Economie, Emmanuel Macron, ait lui aussi enrichi ses réflexions en fréquentant une Business School. Il aurait vraisemblablement constaté des analogies entre les problématiques des chefs d’Etat et celles des dirigeants d’entreprise.

Ainsi, les divergences qui engourdissent l’Union Européenne ne sont pas sans évoquer le manque d’esprit d’équipe de salariés récompensés pour leur performance individuelle ou les laborieuses synergies entre Business Units simultanément rivales et partenaires. Comme il n’est pas inutile de connaître le point de vue de ceux qui ont consacré leur vie à réfléchir à ces questions, appliquons au contexte européen quelques principes généralement admis. Examinons donc les chances de réussite d’un grand bond en avant européen, malgré les résistances prévisibles de certains Etats égoïstes mais rationnels, qui n’ont aucun intérêt à mutualiser leurs recettes fiscales et tout intérêt à continuer à exploiter les efforts coopératifs des autres membres.

Le premier moyen connu pour obtenir des comportements coopératifs d’acteurs aux motivations mixtes de compétition et de collaboration est le recours à une autorité centrale, qui arbitre et qui impose. Cette voie paraît peu réaliste car elle supposerait, ou des abondons volontaires et massifs de souveraineté nationale au profit de la Commission Européenne, ou une conquête du pouvoir de type napoléonienne et son maintien dans la durée grâce une idéologie totalitaire.

Deuxième possibilité recensée en l’absence d’une autorité centrale coercitive, la coopération peut découler d’une combinaison d’aspirations partagées, d’incitations et de contrôle mutuel. Et cela d’autant plus facilement que le groupe est de petite taille et pérenne dans la durée. L’Union Européenne rentre clairement dans ce deuxième cas de figure. Plusieurs facteurs doivent être réunis pour que ce type d’association librement consentie puisse fonctionner, mais son préalable est l’existence d’un but supérieur, partagé par l’ensemble des parties prenantes. Le premier but supérieur commun européen, auxquels ont été subordonnés les intérêts nationaux, a été de créer un espace de libre circulation des biens, des capitaux et des personnes ; le deuxième a été de créer une monnaie commune pérenne. Ces buts ont été atteints, même si les renflouements de la Grèce, du Portugal, de l’Irlande et de Chypre, dans le sillage de la grande crise de 2008, ne se sont pas faits sans douleur. Ces vicissitudes ayant été (partiellement) surmontées, beaucoup de pays membres se satisfont de l’existant et n’envisagent pas de se doter d’un nouvel objectif commun plus ambitieux.

Avec la fougue et l’idéalisme de la jeunesse, le Président français tente cependant d’entraîner ses partenaires vers davantage d’harmonisation, de solidarité et de convergence ; autrement dit, davantage de centralisation. Ces perspectives ne suscitent guère d’enthousiasme, notamment chez ceux qui sont censés être à l’avant-garde de cette Europe rénovée. Les Allemands hésitent entre commisération et agacement. Emmanuel Macron est en couverture de Der Spiegel avec cette citation ironique, qui en deux phrases tirées de leur contexte, dépeignent un personnage vaniteux et méprisant l’opinion d’autrui : « Je ne suis pas arrogant » « Je dis et fais ce que je veux ». Du point de vue des Allemands et même si ceux-ci n’ont guère de leçons à donner en la matière, n’y a-t-il pas une forme d’outrecuidance à faire passer l’intérêt financier de la France pour l’intérêt général de l’Union et l’intérêt supérieur de l’Allemagne ?

Il faut reconnaître que les arguments en faveur d’une intégration plus poussée ne sont pas totalement convaincants. Dans le raisonnement avancé, il n’y a aucun but supérieur commun qui s’imposerait avec évidence à tous les pays membres, qui transcenderait leurs intérêts nationaux et qui leur ferait accepter de mettre en commun, comme le préconise Emmanuel Macron, les recettes de l’impôt sur les sociétés. Les chiffons rouges que celui-ci agite pour justifier de passage à la vitesse supérieure sont en effet perçus soit comme des non-menaces (la Chine et les Etats-Unis sont non seulement de bons partenaires commerciaux avec lesquels certains pays dégagent de confortables excédents, mais les Etats-Unis sont le pilier de la défense européenne), soit comme pouvant être traitées dans le cadre actuel (terrorisme, migration, réchauffement climatique,…). Peut-être avec le secret espoir que ses interlocuteurs n’y verront que du feu, Emmanuel Macron se garde bien de mentionner le principal péril qui menace l’Union Européenne : la déflagration de la zone euro consécutive à un défaut de paiement d’un des pays de l’Europe du Sud (au premier rang desquels l’Italie).

Les Allemands ne sont pas dupes. Ils campent sur les positions qu’ils tiennent invariablement depuis Maastricht et refusent de financer la fonction publique pléthorique et les systèmes de protection sociale dispendieux de leurs voisins. Dans cet esprit, les crises qui pourraient survenir et qui menaceraient la survie de l’euro seraient traitées au cas par cas et non par des mécanismes systématiques de mutualisation des dettes et des budgets. D’ailleurs, si Emmanuel Macron appliquait l’harmonisation fiscale et sociale qu’il réclame à ses partenaires, la France qui est championne de l’OCDE des prélèvements obligatoires, pourrait économiser au moins 7 % de PIB, juste en s’alignant sur la moyenne européenne. Bref, la vision française d’une Europe solidaire a peu de chance de s’imposer comme le nouveau credo européen.

Enfin, troisième ressort possible, quand on ne peut ni imposer, ni persuader au nom d’un intérêt supérieur, les liens. L’envie de coopérer peut résulter de la proximité ressentie ou du désir de réciprocité, qui fait qu’après avoir reçu un don, on se sent obligé de rendre l’aide ou les cadeaux reçus. Ces stratégies relationnelles fonctionnent généralement bien dans les entreprises verticales. L’amitié des chefs descend en cascade le long de la ligne hiérarchique, notamment parce que les récalcitrants sont évincés. Le contexte démocratique diminue cependant sérieusement la portée des liens personnels : les chefs ont des comptes à rendre à leurs concitoyens et ils ne peuvent pas se débarrasser de leurs contradicteurs. Il serait donc assez surprenant que les efforts de séduction de la chancelière par le jeune Macron, la glorification de l’amitié franco-allemande, ou les offrandes de fleurons industriels de type Alstom délient soudainement les cordons de la bourse allemande.

Au total, le scénario le plus probable est que le Président français sauve la face en obtenant des avancées sur les initiatives compatibles avec le statu quo (terrorisme, énergie, défense, réchauffement climatique, transition numérique) mais qu’il essuie une fin de non-recevoir sur les sujets les plus épineux. Or chaque jour qui passe diminue la marge de manœuvre de la France et voit les déficits se creuser. Inévitablement le moment viendra où les marchés commenceront à douter sérieusement de la capacité de la France et des autres pays de l’Europe du Sud à rembourser leurs dettes. L’éclatement de cette crise financière nécessitera une intervention du Mécanisme Européen de Stabilité, qui aura alors toute latitude pour mettre la France sous tutelle financière, avec en première ligne de mire les plus de 60 ans, qui représentent 24% de la population française mais mobilisent 72% des dépenses de sécurité sociale, c’est-à-dire 18% du PIB.

Un autre scénario envisageable, mais peu plausible dans l’immédiat, est une sortie de l’Union Européenne. Il supposerait que la majorité de Français euro-sceptiques parviennent à se mettre d’accord sur un leader, qui les rassemble au-delà de leurs divergences idéologiques.

Le champ des possibles étant rarement binaire, il y a certainement des options intermédiaires à inventer. Un scénario alternatif pourrait, par exemple, consister à créer une communauté de pays au sein de l’UE qui bénéficierait d’un régime de sauvegarde exceptionnel, un peu comme les entreprises en difficulté demandent à être placées en redressement judiciaire. Ce groupement de pays aurait pour objectif commun le retour à l’équilibre de leur balance commerciale et pourrait s’affranchir partiellement et temporairement des règles européennes. Ce statut hybride, dans l’UE « et en même temps » hors de l’UE, présenterait l’immense avantage de pouvoir appliquer les mêmes recettes non libérales, qui ont permis à la poignée de grands pays émergents (le Japon, la Corée et la Chine) de rattraper les pays développées. Cela épargnerait aux Français la saignée libérale des coupes drastiques dans les dépenses publiques qui ne manqueraient pas de provoquer un effondrement du PIB et des capacités à préparer le futur. Pour cela, il faudrait bien entendu que la France adopte une posture différente et admette la détresse de sa situation.

Véronique Nguyen, le 25/10/2017