Plus de la moitié des Français sont eurosceptiques et attribuent le déclin de leur pays et de leur niveau de vie (par rapport à celui de leurs parents) à l’excès d’« Europe ». Emmanuel Macron a profité paradoxalement de ce mécontentement pour conquérir le pouvoir, au nez et à la barbe des deux grands partis de gouvernement traditionnels. Il pose pourtant le diagnostic exactement inverse, puisqu’il attribue le désenchantement de ses compatriotes aux imperfections de la construction européenne, qu’il conviendrait de parachever (sans d’ailleurs démontrer comment une plus grande intégration européenne améliorerait la vie de ses concitoyens…).
Avec la fougue et l’idéalisme de la jeunesse, le Président français tente donc depuis septembre 2017 d’entraîner ses partenaires européens vers davantage d’harmonisation, de solidarité et de convergence ; autrement dit, davantage de centralisation et de fédéralisme. Après l’écoute bienveillante des premiers mois, les revers cependant s’accumulent. Depuis que le spectre du Frexit, dans le sillage du Brexit s’est éloigné, les masques tombent et les pays membres révèlent leur farouche volonté de défendre leur intérêt national en préservant le status quo.
Rappelons les derniers rappels à la dure réalité. Malgré les souhaits affichés d’Emmanuel Macron, les salaires des travailleurs détachés continueront à être soumis aux cotisations de leur pays d’origine ; il n’y aura pas de listes transnationales aux élections européennes. Le pacte de coalition entre les deux partis de gouvernement allemands ne prévoit aucun budget de l’Eurozone, aucun impôt européen le finançant, et encore moins de mutualisation des dettes. Le futur gouverneur de la BCE sera très probablement Jens Weidmann, l’actuel président de la Bundesbank, lequel mettra fin aux politiques monétaires ultra-accommodantes, impopulaires en Allemagne. Et comme si le message n’était pas assez clair, les ministres des finances de plusieurs pays européens (Irlande, Lettonie, Lithuanie, Pays-bas, Suède) se sont publiquement exprimés le 6 mars 2018 contre les ambitions réformatrices de la France.
A ce sombre panorama, s’ajoute la victoire des partis populistes et eurosceptiques en Italie, en Autriche et en République Tchèque. Le Royaume-Uni est de son côté, en train de démontrer que la participation à l’Union Européenne est réversible, sans que son économie ne s’effondre pour autant. Bref, Emmanuel Macron évolue à contre-courant et il est peu probable qu’il parvienne à faire adhérer les autres pays à sa grande vision européenne. La préservation de l’existant (la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes, la monnaie commune, les mécanismes de soutien en cas de crise financière) semble être le seul objectif qui puisse raisonnablement faire consensus.
Tout porte ainsi à croire qu’Emmanuel Macron est en train de perdre son pari européen et qu’il a mal anticipé la vague de fond populiste, tout comme les résistances prévisibles de certains Etats égoïstes mais rationnels, qui n’ont aucun intérêt à mutualiser leurs richesses, tout en continuant à exploiter les efforts coopératifs des autres membres. Comment peut-il encore sauver la face, en ne donnant pas l’impression que son ingénuité été instrumentalisée par Bruxelles pour lui faire mener les réformes libérales qui sont demandées à la France depuis des années? Le président Macron ressemble à la Perrette de la fable, qui s’en allait guillerette vendre son lait au marché, se délectant en imagination de sa fortune future, avant de trébucher et et de voir ses doux rêves anéantis.
Véronique Nguyen, 7 mars 2018