Quand Macron et Merkel jouent au poker menteur

Macron a sauvé l’UE de l’implosion. Ses partenaires européens, reconnaissants, font mine de courber l’échine et de réfléchir sérieusement à ses propositions d’une plus grande intégration financière. C’est un jeu de dupes. Les Européens jouent la montre et demandent des gages à la France, qui doit d’abord réduire son train de vie, avant d’envisager toute forme de mutualisation des budgets et des dettes. De son côté, Macron fait semblant de réformer pour pouvoir arracher des concessions à ses interlocuteurs. L’intransigeance de l’Allemagne à alléger une partie de la dette grecque, en dépit des pressions répétées du FMI, nous éclaire pourtant sur sa profonde répulsion à payer pour ses voisins dépensiers.

Que certains commentateurs croient que la volonté d’un seul homme puisse suffire à réécrire les règles du jeu européen laisse songeur. Cela démontre, à ceux qui en doutaient encore, que la modernité n’a pas réussi à éradiquer la pensée magique. Le rituel de l’élection présidentielle remplit dans nos sociétés une fonction analogue à celle des danses de la pluie destinées à conjurer le mauvais sort. Le retour de l’optimisme à l’issue du rituel, relève plus de la superstition collectivement organisée que de l’analyse rationnelle du bilan de l’ancien Ministre de l’Economie et de son programme présidentiel.

Ses très modestes mesures, aussi louables et ardues soient-elles, n’ont aucune chance de guérir « l’homme malade de l’Europe » et de satisfaire les conditions de la chancelière allemande pour une plus grande intégration. Tout au plus, son timide plan de libéralisation du marché du travail, de baisse des dépenses publiques et de réduction du taux de l’impôt sur les sociétés permettra-t-il de ne pas aggraver les handicaps compétitifs qui pèsent sur les entreprises françaises. Quelle que soit la révolution en marche, la France est bien partie pour conserver son titre de championne du monde des prélèvements obligatoires et de la prolifération réglementaire.

Plutôt que de se conformer à l’opinion libérale dominante et tenter de se rapprocher du moins-disant fiscal, social ou réglementaire, il serait plus judicieux de créer collectivement le supplément de valeur qui justifie le surcroît français de taxation et de contraintes. La planche de salut de la France ne peut pas résider dans l’innovation, à moins que celle-ci ne soit concentrée sur quelques cibles et modalités prioritaires à définir. Rappelons que les Etats-Unis ont déposé 57.000 brevets en 2015, les Japonais 44.000 et les Chinois 30.000, alors que les Français, dépassés par la Corée du Sud (14.000 brevets), n’en affichaient que 8.000. Dans cette lutte sans merci, les seuls avantages comparatifs que la France puisse raisonnablement espérer développer sont l’agilité et le style.

La France peut en effet se distinguer en puisant dans ses racines et en incarnant ce qui signe sa différence : la vivacité d’esprit et l’élégance. Il est vain de s’épuiser à produire de l’innovation fondamentale non ciblée. Il est préférable d’être, ce que ce que les anglo-saxons appellent un « fast follower », et de le faire « with style » ; autrement dit, de proposer très rapidement des combinaisons intelligentes d’innovations majeures déjà disponibles et d’y ajouter la touche française qui offre une esthétique et une expérience client incomparable. Les enceintes Devialet, les tentes Quechua, les Espaces de Renault en constituent de bons exemples.

L’Etat visionnaire a un rôle majeur à jouer. La construction d’avantages compétitifs est une œuvre de longue haleine qui passe par la création d’écosystèmes porteurs, à l’image de ce que l’on trouve en Californie, en Israël ou en Chine. Un ensemble de facteurs clé de succès doivent être réunis : des talents adaptés aux défis à relever, des règles du jeu qui encouragent la rapidité de décision et la prise de risque, des financements massifs, des débouchés aisés et quasiment garantis, des réseaux actifs d’échange et de partage. La transformation à accomplir est immense.

Un Small Business Act à la française est indispensable mais plus profondément, il faudrait cesser de cultiver l’éducation, la recherche ou l’entrepreneuriat comme des fins en soi, bonnes par nature, indépendamment de leur contenu. Le monde de la recherche poursuit ses propres objectifs, indépendamment de ce qui pourrait être des priorités industrielles nationales et des collaborations fructueuses avec des designers, qui s’attacheraient à concevoir des expériences client et des esthétiques originales et formidables.

La formation, initiale ou continue, sert trop souvent à retarder l’arrivée sur le marché de l’emploi de personnes inemployables, précisément parce qu’elles n’ont pas bénéficié de la formation longue et exigeante qui ferait que les entreprises se les disputent. Un premier pas dans la bonne direction consisterait à remanier l’université française, afin qu’elle cesse de produire en masse des individus surdiplômés, sans compétence dans les domaines où se déroule la « guerre des talents » mondiale : développement informatique, intelligence artificielle, big data, design, digital, robotique, biotechnologies, ….

Les politiques d’innovation gagneraient à être consolidées et à bénéficier de priorités claires, à l’exact opposé du saupoudrage actuel d’aides et de financements. Il est vrai que cette prolifération de start-ups permet de dégonfler astucieusement les chiffres du chômage et de faire rêver les créateurs d’entreprise qu’ils sont des milliardaires en puissance. Le très faible taux de transformation de cette effervescence entrepreneuriale devrait pourtant tempérer les ardeurs des tenants de l’optimisme béat. Quasiment aucune de ces jeunes pousses françaises n’est devenue un acteur majeur des nouvelles technologies.

Depuis trois ans, Emmanuel Macron a multiplié les « coups de com » sur la French Tech, sans changer substantiellement l’écosystème français. Comme il est peu probable qu’il arrive à faire payer aux Allemands la mauvaise gestion de la France des quarante dernières années, on aimerait le voir esquisser une véritable stratégie qui assure aux Français que ce ne seront pas les créanciers de l’Etat français qui imposeront au pays les réformes libérales que les partenaires européens attendent.