Le droit d’asile à l’épreuve des chiffres

Les Danois, comme les Suisses et depuis peu les Allemands dans certains Länder, ont annoncé qu’ils allaient confisquer tous les biens des réfugiés au-delà d’un seuil compris entre 350 et 1.340 euros. Cette mesure serait justifiée par la nécessité de couvrir les coûts d’accueil et d’intégration, dont le montant, s’il a été estimé, n’a pas été communiqué. L’accueil des migrants suscite de nombreuses polémiques, rarement étayées par des analyses chiffrées. Pourtant les enjeux financiers de l’accueil des réfugiés, tous comme ceux de la protection sociale, méritent d’être posés.

Dans le cas français, l’INSEE publie des données auxquelles il est aisé d’appliquer des notions élémentaires de comptabilité analytique. Les dépenses publiques se sont élevées en 2012 à 1.151 milliards, ce qui ramené à la population française de 65,2 millions de personnes, nous donne un coût annuel de 17.644 euros par habitant. Compte tenu de l’espérance de vie des hommes de 79 ans et de celle des femmes de 85 ans, chaque français aura, en moyenne, consommé au cours de sa vie 1,45 million d’euros de services publics et de transferts sociaux (si les niveaux de 2012 devaient se maintenir).

Ce coût complet de 17.644 euros peut se décomposer en un coût variable et un coût fixe. La partie variable correspond à toutes les prestations sociales qui varient proportionnellement au nombre d’habitants : éducation, santé, vieillesse, famille. Le coût fixe représente le socle de services publics : sécurité, défense, administration, culture, justice…, dont le montant est relativement indépendant du nombre de citoyens, ou du moins sur lequel on peut espérer observer un effet de levier opérationnel, c’est-à-dire une hausse beaucoup plus faible que la progression de la population.

En première approximation, le coût variable peut être assimilé au coût des Administrations de Sécurité Sociale plus le coût de l’enseignement, soit 9.637 euros par an et par habitant et le coût fixe au coût de l’Etat et des Administrations Publiques locales, soit 8.007 euros par an et par habitant. Supposons, d’une part, que cette partie fixe soit réellement fixe, c’est-à-dire que l’Etat et les collectivités locales absorbent un accroissement modéré de la population, sans augmenter leurs effectifs ou leurs moyens et que d’autre part, les caractéristiques démographiques des réfugiés soient proches de celles de la population française. Le coût marginal d’un réfugié serait alors égal au coût variable, soit 9.637 euros par an.

Or, la deuxième hypothèse est visiblement erronée. La population des réfugiés est beaucoup plus jeune que la population française. Pour ne parler que du cas syrien, qui n’est pas le pays à la démographie la plus explosive, la part des moins de 25 ans dans la population est de 53%, tandis que la proportion des plus de 65 ans n’est que de 4%. Inversement, les plus de 60 ans représentent, en France, 24% de la population et ils absorbent ….72% des dépenses de sécurité sociale, soit …..18% du PIB ! En 2012, les dépenses de sécurité sociale (hors charges de fonctionnement) se sont en effet élevées à 515 milliards d’euros. Les plus de 60 ans ont bénéficié de la totalité des 289 milliards distribués au titre des retraites et de 46% des frais pris en charge par l’assurance maladie, soit 81 milliards (calculs effectués à partir des données de l’étude de France Stratégie, janvier 2016, n°37). Si l’on déduit ces 370 milliards de notre base initiale de coûts variables, le coût marginal d’un réfugié pour la collectivité serait donc plutôt proche de 3.898 euros par an.

Quelles recettes mettre en face de ces dépenses publiques supplémentaires ? Les principales ressources de la protection sociale sont les cotisations salariales et patronales ainsi que la CSG, toutes assises sur les salaires. Avec un taux de charge de sécurité sociale grevant les salaires bruts d’environ 43%, les 3.898 euros de coût marginal correspondent à une rémunération annuelle de 9.066 euros, soit 50% de moins que le SMIC de 2012 et 74% de moins que le salaire moyen de 2012. Si tous les réfugiés étaient en âge de travailler et s’ils trouvaient un emploi, ils pourraient donc largement couvrir leurs dépenses sociales.

La question des réfugiés nous renvoie ainsi aux problématiques lancinantes du chômage et du déficit public. Le taux de chômage actuel de 10,6% ne peut que nous faire douter de la capacité de la France à fournir un travail à tous les nouveaux venus. Le déficit déraisonnable des dépenses publiques ne laisse ensuite aucune marge de manœuvre, pour financer le déséquilibre probable entre le nombre de réfugiés immédiatement employables et ceux qui ne le sont pas. Rappelons que pour l’année 2012, le déficit des dépenses publiques représentait 4,8% du PIB, soit 9,3% des recettes publiques ! L’échec patent du programme de stabilité 2013-2017, qui prévoyait de ramener ce déficit à 0,7% du PIB en 2017, tout comme les efforts vains pour « inverser la courbe du chômage » montrent que la nation française n’a pas les moyens de sa générosité et qu’elle n’est pas prête de les avoir.

Les solutions à l’arrivée de millions de migrants fuyant la pauvreté et la guerre, ne peuvent pas être trouvées au sein des Etats, dont le modèle économique et social est au bord de l’implosion. Les flux migratoires dépassent les ressources des pays d’accueil, qui sont surendettés et de surcroît en rivalité fiscale et sociale, les uns avec les autres, pour attirer les entreprises et les capitaux. Seule une réponse coordonnée à l’échelon international, par le biais d’une hausse et une harmonisation des taux d’imposition ou l’instauration d’une taxe Tobin universelle, permettra d’éviter les désastres humanitaires en cours et en préparation.