Primaires : quelles sont les chances des Français d’avoir enfin un pilote dans l’avion ?

Le débat lors des primaires va-t-il permettre de s’attaquer aux causes profondes de l’affaiblissement de la France ?

 

Ces quarante dernières années resteront dans l’histoire de France comme un grand moment de sabordage de la nation française par ses dirigeants. On aura rarement vu un tel acharnement des élites au pouvoir à ne pas défendre les intérêts de leurs concitoyens et à dilapider l’héritage patiemment accumulé par les générations antérieures. Ces élites ont non seulement handicapé les forces vives du pays à force de prélèvements confiscatoires et de règles sclérosantes mais leur laissez-faire a fait le jeu de prédateurs en tous genres. C’est à bras ouvert que les gouvernements successifs ont accueilli la concurrence déloyale des économies asiatiques, le dumping fiscal et social de leurs partenaires européens, les capitaux étrangers s’emparant des fleurons du pays, les importations délétères de l’agriculture industrielle, le chantage aux transferts de technologie et dans un autre registre, le prosélytisme des monarchies du golfe ….

Stupides, crétins ou bandits ? L’économiste italien, Cipolla, dans son célèbre traité sur Les lois fondamentales de la stupidité humaine, opterait pour crétins, qu’il définit comme l’aptitude à générer des gains pour autrui, tout en s’infligeant des pertes. Illustrons cette « générosité » des dirigeants français par les flux financiers entre la France et l’Union Européenne. La France est le deuxième plus grand contributeur net au budget européen après l’Allemagne, avec une participation nette de 7 milliards d’euros en 2014, soit 7 fois plus que le montant investi dans le capital des entreprises françaises la même année par l’ensemble des fonds de capital-risque. La France est aussi le plus gros mécène du rabais britannique obtenu en 1984 par Margaret Thatcher, qu’elle finance chaque année à hauteur de 1,6 milliards d’euros (contre 380 millions pour l’Allemagne). Le Brexit devrait ainsi lui permettre d’économiser 200 millions d’euros, malgré l’effort supplémentaire qui sera demandé aux 27 pays restants.

En tant que membre de l’Union Européenne, la France paie donc pour se voir imposer une monnaie surévaluée, une politique ultra-libérale qui a décimé des pans entiers de son industrie et qui est en train d’asphyxier son agriculture. Le diagnostic de Cipolla s’avère probablement trop clément. Il s’agit moins de crétinisme que de masochisme. Ne faut-il point se complaire dans la souffrance pour continuer à approuver, quand son taux de chômage dépasse les 10%, les interdictions de soutenir ses industries en difficulté ou de réserver une partie de ses marchés publics à ses entreprises nationales? Ne faut-il point aimer les mortifications pour accepter des diktats qui empêchent la naissance de champions nationaux (à l’image de la fusion avortée de Legrand et Schneider en 2002) ou qui ordonnent la commercialisation de substances nocives (OGM et pesticides) ?

Si les dirigeants français se sont condamnés à l’impuissance par soumission à l’idéologie libérale, telle qu’elle est gravée dans le marbre des traités de Rome de 1957 et de Lisbonne de 2009, leurs rivaux internationaux se sont bien gardés d’une telle intransigeance. Ils profitent de l’aubaine que constitue l’ouverture du marché européen pour assouvir leur soif de conquête, tout en refusant de s’aligner sur un libéralisme aussi radical. Depuis la fin des années 70, la Chine met ainsi patiemment en œuvre le plan qui a été élaboré par l’équipe de Deng Xiaoping dans les industries qu’elle considère comme stratégiques : l’électronique, l’énergie, la métallurgie, la chimie, le transport, la pharmacie, l’automobile, l’aérospatial. Ayant bien compris l’intérêt d’appartenir à la zone de libre-échange la plus large possible, la Chine a progressivement abaissé ses droits de douane. Elle pratique cependant la préférence nationale, constitue des champions nationaux en fusionnant ses entreprises, subventionne et finance à outrance ses acteurs nationaux, crée des barrières administratives ou des standards locaux pour les protéger, tolère le pillage de la propriété intellectuelle.

Profitant de tous les espaces ouverts par l’aveuglement et l’incurie des gouvernements français successifs, la montée en gamme et en puissance de l’industrie chinoise coïncide avec la désindustrialisation de la France et la perte de 2,3 millions d’emplois dans l’industrie manufacturière. A la différence de leurs homologues français, les chinois ne se contentent pas d’observer passivement les effets de la sélection naturelle en milieu hostile. Ils façonnent avec détermination leur futur et ont pris une avance remarquable dans les technologies vertes et la nouvelle économie (e-commerce, cloud, IoT, mobile banking). La pusillanimité française est devenue à l’étranger un repoussoir en matière de gouvernance. Ceux qui n’en profitent pas, se demandent incrédules quand la France saura tirer parti de ses atouts, avant d’être complétement distancée… Il faut être français pour ne pas se rendre compte que le French bashing est devenu un « intégrateur négatif » qui permet aux groupes d’étrangers de ricaner à bon compte.

Si l’on appliquait aux hommes politiques français la loi de la concurrence qu’ils imposent au secteur privé, cela fait belle lurette que leurs contre-performances les auraient disqualifiés. Le verrouillage du pouvoir par les deux partis en situation de duopole transforme les élections présidentielles en vote pour la « moins pire » des options. Même le dispositif des primaires empêche de rebattre les cartes puisqu’on y retrouve les principales figures de l’ancienne équipe au pouvoir. Que penser de l’absence de stratégie industrielle du candidat donné gagnant par les sondages, qui propose d’améliorer à la marge un système en décomposition et dont l’horizon se borne à réussir un exercice de communication, pour faire aimer ce que le peuple français a clairement rejeté lors du référendum de 2005 :« Avant tout, il s’agit de définir ce qui fait notre bien commun, un idéal qui parle au cœur des peuples européens, pour vivifier le désir d’Europe ».

Heureusement, le génie français s’illustre en période de crise et il ne fait pas de doute que, le moment venu, les Français sauront repartir à la conquête du terrain perdu.